Conflit entre l’Homme et l’éléphant d’Asie
Introduction
Beaucoup de gens l’ignorent sûrement, mais un grand conflit oppose l’Homme et l’éléphant d’Asie sauvage depuis des années. Ce conflit est principalement causé par la réduction de l’habitat naturel de l’éléphant au profit de l’expansion humaine. Les deux espèces vivent ainsi presque côte à côte et sont menées à se rencontrer fréquemment. Pour donner un ordre d’idée, environ 300 personnes sont tuées par des éléphants d’Asie chaque année. Rien qu’au Sri Lanka, ce chiffre s’élève à 50 ou 100 personnes.
Nous allons d’ailleurs prendre l’exemple du Sri Lanka pour tenter de mieux comprendre les raisons derrière ce conflit. Tout ce qui sera dit sera la simple retranscription de tout ce que j’ai appris lors de mon séjour sur place et rédigé dans mon travail de recherche qui a suivi, en 2017.
Histoire du conflit au Sri Lanka
La source du conflit entre éléphants et habitants remonte aux années 1970. À cette époque, les habitants ont quitté les villes sous le conseil du gouvernement, qui voulait que sa population subvienne elle-même à ses besoins. Ils se sont alors mis à construire des nouvelles habitations dans la campagne, là où les sols étaient fertiles, ce qui leur a permis de cultiver diverses plantations. Cependant, les éléphants qui vivaient dans les environs ont commencé à se nourrir de ces cultures, détruisant champs et parfois maisons lors de leur passage, de leur quête de nourriture. Des maisons sont encore souvent détruites aujourd’hui, car les éléphants étant très friands de riz, ils arrivent à le sentir dans un rayon d’un kilomètre. De ce fait, si le riz est conservé à l’intérieur des maisons, ils n’hésitent pas à forcer le passage pour l’engloutir.
Voici un exemple de champs détruit :
Lorsqu’un habitant est victime du passage d’un éléphant dans sa maison ou son champs (comme illustré ci-dessus), il est prévu qu’il reçoive une compensation financière du gouvernement pour pouvoir subvenir à ses besoins et reconstruire ce qui a été saccagé. Généralement, les habitants des villages éloignés reçoivent un salaire unique pour l’achat de leurs plantations, destinées à être consommées dans le pays ou exportées. Ainsi, ils dépendent énormément de des plantations pour vivre et faire vivre leurs familles.
Plusieurs méthodes traditionnelles existent pour éloigner les éléphants : le fait d’utiliser du feu, de faire du bruit (avec des pétards, par exemple) ou de lancer des projectiles. Cependant, ces méthodes ont progressivement perdu de leur efficacité, car les éléphants ont pris l’habitude de ces menaces, ont compris qu’il n’allait rien leur arriver de plus et n’ont plus peur.
Les habitants, à l’aide du gouvernement et de l’ONG Sri Lanka Wildlife Conservation Society (SLWCS), ont donc cherché de nouvelles solutions pour garder les éléphants éloignés de leurs habitations et de leurs cultures. Voici trois principales solutions utilisées actuellement :
1. Des clôtures électriques
Premièrement, les habitants ont installé des clôtures électriques autour des villages et de certaines routes. Cette solution est trop radicale et cruelle, puisque beaucoup d’éléphants qui touchent ces clôtures meurent électrifiés ou terminent blessés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la SLWCS était contre le développement de cette idée. L’ONG souhaite empêcher la construction de nouvelles clôtures et encourager la destruction d’anciennes clôtures aujourd’hui.
Cependant, fait intéressant à relever : les clôtures sont de moins en moins efficaces contre les éléphants. La raison ? Un éléphant peut apprendre à contourner ou à casser des clôtures. Pour ce faire, soit il utilise une branche d’arbre qu’il fait tomber sur les fils pour les couper et arrêter l’électrification, soit il arrache simplement les poteaux en bois qui maintiennent les fils électriques, par exemple, lui laissant la voie libre pour traverser. Dès qu’il apprend à faire cela, il s’en rappelle pendant longtemps et transmet même ce savoir à ses compagnons, s’il vit en groupe.
Ci-dessous, une photo illustrant un poteau renversé par un éléphant pour traverser :
2. Des agrumes
Deuxièmement, avec l’aide de la SLWCS, les habitants ont fait pousser des agrumes – des arbres qui font pousser des fruits du genre Citrus, tels que des oranges, des mandarines ou des citrons – autour de leurs cultures. Effectivement, après avoir mené une étude, il s’est avéré que les éléphants détestaient ces fruits et passaient leur chemin s’ils sentaient leur odeur de loin. Cependant, l’effet de répulsion ne dure pas longtemps et s’avère peu efficace, car si l’éléphant sent un autre fruit qui lui semble plus intéressant et qui se trouve derrière les agrumes, il lui est facile de piétiner ces derniers et avoir accès aux arbres fruitiers plus attirants.
3. Des ruches
Troisièmement, toujours accompagnés de la SLWCS, les habitants ont installé plusieurs ruches autour de leurs maisons. Il s’agit de la solution la plus prometteuse, équitable pour les deux camps et en vogue actuellement en Asie. En effet, cette solution est efficace, respectueuse de l’éléphant et offre la possibilité aux habitants de récolter du miel, en plus de leurs cultures, et de gagner de l’argent. Ainsi, chacun y trouve son compte et est satisfait.
Le mécanisme derrière cette solution est simple : les ruches sont liées entre elles avec des cordes. Si un éléphant a le malheur d’essayer de passer à travers une corde, cette dernière va faire bouger les ruches et, ainsi, déranger les abeilles, qui vont en sortir et attaquer le fauteur de troubles.
Ce qu’il faut savoir, c’est que l’éléphant déteste le bourdonnement des abeilles – rappelons qu’il a l’ouïe fine – et est sensible aux piqûres d’abeilles, surtout au niveau du visage. Rappelons que sa peau fait seulement 1 à 2 centimètres, contrairement à ce qu’on pourrait penser ! N’ayant aucun moyen de défense contre les abeilles, il est obligé de battre en retraite et d’abandonner l’idée de se nourrir dans les champs riches en fruits savoureux, car bien gardées par des ruches.
Ces « clôtures de ruches » ont donc l’avantage de protéger les cultures des habitants (sans faire de mal aux éléphants) et de fournir une nouvelle source de revenu aux villageois, ce qui est très positif. L’expérience a été faite d’abord en Afrique, puis au Sri Lanka, et il est prévu qu’elle s’étende à grande échelle dans toute l’Asie.
Ce que l’on constate, c’est que les éléphants trouvent le moyen de contourner ces obstacles dans la plupart des cas. Certains villageois ont abandonné la lutte et décidé d’accepter la présence des éléphants. D’autres ont, au contraire, continué de les confronter.
Pour prévenir de l’approche d’éléphants vers les habitations et cultures, beaucoup d’habitants veillent jour et nuit depuis leurs « Tree houses », de « cabanes dans les arbres ». Lorsqu’un ou plusieurs éléphants sont aperçus, les habitants tentent par tous les moyens de les repousser, avec certaines méthodes proposées plus haut. Il n’est pas rare que des hommes se blessent ou décèdent en tentant de faire fuir les éléphants qui envahissent leurs cultures.
Voici à quoi ressemblent des cabanes depuis lesquelles les habitants observent les éléphants :
Lors de mon séjour au Sri Lanka aux côtés de la Sri Lanka Wildlife Conservation Society (SLWCS), j’ai pleinement pu réaliser à quel point la relation entre habitants et éléphants est tendue. J’ai vu, par exemple, une femelle avec une patte cassée qui s’abreuvait sur le rivage d’un lac un jour. L’un des Sri lankais qui travaillait pour la SLWCS m’a expliquée que cela pouvait être l’oeuvre d’un villageois qu’il connaissait de loin, car il sait que ce dernier pose entre 60 et 80 pièges par jour dans la forêt, ce qui pouvait expliquer la méchante blessure.
Un autre jour, le groupe de volontaires et moi-même étions en train d’observer de loin un groupe de femelles qui s’approchait gentiment du même rivage pour boire. Des habitants qui les avaient vues ont pris leurs motos, sont passés à côté de nous et ont klaxonné continuellement en passant tout près des éléphants. Ils ont ensuite envoyé des feux d’artifice en direction des éléphantes et éléphanteaux, qui se sont repliés dans la forêt. Ils en sont ressortis quelques minutes plus tard, lorsque les villageois étaient partis.
Pour conclure le sujet, chaque vendredi matin, dans le cadre du programme créé par la SLWCS, les volontaires et moi nous entretenions avec les villageois récemment victimes du passage des éléphants pour constater les dégâts et leur demander une description. À la fin de chaque entretien, nous posions une question plus personnelle aux victimes. Nous leur demandions ce qu’ils pensaient et ressentaient vis-à-vis de la présence des éléphants dans les environs. Beaucoup ont répondu que, malgré les dommages que les éléphants ont pu causer, ils ne voulaient pas les voir partir pour que les prochaines générations puissent cohabiter avec eux. Ils nous ont également confié qu’ils ne possédaient pas d’armes à feu et qu’ils ne tiraient donc pas sur les éléphants. Cependant, une femme a relevé qu’une cohabitation en harmonie n’était désormais plus possible, car leur guerre remontait à des siècles.